Henry (1963) – Dasein

Data: 2025-03-06 21:01

L’ontologie fondamentale, déclare Sein und Zeit, doit être cherchée dans une analytique du Dasein. 6

L’ontologie fondamentale repose sur l’analytique du Dasein. 6

Lorsqu’on appuie l’ontologie fondamentale sur l’analytique du Dasein, ce dernier intervient manifestement en tant qu’il porte en lui le pouvoir de se rapporter originellement à l’être ; c’est le rapport transcendantal de la réalité humaine à l’essence qui est en cause. 6

Mais une telle identification est-elle possible ? Sa conséquence paradoxale ne serait-elle pas la pure et simple suppression du privilège du Dasein ? Cette suppression est-elle concevable, s’il est vrai qu’il y a pour ce dernier deux manières d’être irréductibles l’une à l’autre, comme être qui se rapporte à l’être en général et, par suite, à tous les existants possibles, et à lui- même, comme être, d’autre part, auquel il se rapporte lorsqu’il se rapporte à lui-même ? La nécessité pour l’ontologie de se donner un fondement d’ordre ontique ne fait point, par elle-même, difficulté. 6

Cette raison ultime de la nécessaire référence de l’ontologie à un fondement ontique n’explique pas encore, toutefois, le privilège du Dasein. 6

Celle-ci, pourtant, ne va-t-elle pas nous renvoyer à l’être du « Dasein » comme à son fondement ? Si l’être du Dasein est essentiellement constitué par la temporalité, si celle-ci est l’origine du temps, si le temps est l’horizon de l’être, la subordination de l’être du Dasein au sens de l’être en général n’est-elle pas, plus que jamais, ambiguë ? Le merveilleux choc en retour du questionné sur le questionnant qui se fait jour dans la question de l’être, ne permet pas encore de lever la difficulté fondamentale qui est immanente à cette question et qui a trait au problème de l’homogénéité de l’être. 6

Il y a dans le Dasein, dit Heidegger, une tendance fondamentale vers le proche. 9

Le phénomène du monde… appartient, comme moment structural essentiel de l’être-dans-le-monde, à la constitution fondamentale du Dasein. » 11

Inversement, lorsque Sartre reproche à Heidegger d’aborder directement l’analytique existentielle sans passer par le cogito, lorsque, après avoir défini le Dasein comme le projet ekstatique de ses propres possibilités, c’est-à-dire comme une compréhension de soi, il demande : « Mais que serait une compréhension qui, en soi-même, ne serait pas conscience (d’) être compréhension ? », comme pour lui la conscience est la position de l’objet, comme elle s’épuise dans cette position même et n’est ainsi rien d’autre que l’ekstase de la transcendance, c’est-à-dire très exactement ce que Heidegger entend par la compréhension (Verstehen) ontologique de l’être, sa critique n’a aucun contenu. 11

Pourquoi l’essence ne peut-elle être maintenue dans le lointain originel où elle réside ? Pourquoi le Dasein ne peut-il être saisi dans la pureté de sa signification ontologique radicale comme l’essence même de la transcendance ? Parce que l’être de celle-ci est inévitablement compris sur le fond de ce qui advient en elle. « 12

L’Être-dans » qui signifie l’ekstase originelle de l’être, « est dénaturé » parce que le Dasein le comprend à la lumière de l’étant qui se produit grâce à cet Être-dans. 12

Comprenant l’in-Sein à la lumière de ce qui se produit en lui, c’est lui-même que le Dasein comprend de la sorte. 12

Le Dasein, dit Heidegger, peut se comprendre… à partir du « monde » ou des autres ou de son pouvoir-être le plus propre. » 12

La compréhension du Dasein à partir de son pouvoir-être le plus propre signifie pour le Dasein une compréhension de soi à partir de soi, elle est la compréhension de soi de l’essence comme essence. 12

Descartes, écrit Heidegger, comprend l’être du Dasein à la constitution fondamentale duquel appartient l’être-dans-le-monde de la même façon que l’être de la res extensa, comme substance). » 12

Le Dasein, cependant, n’est rien d’autre que le monde dans sa mondanité pure. 12

Plus rigoureuse, toutefois, est la compréhension interne de l’essence comme fondement néantisant de l’être, plus pressante l’exigence de la maintenir, sur le fond de ce néantir en elle, dans sa transcendance radicale à l’égard de tout étant, plus incompréhensible aussi l’assimilation explicite de l’essence à une réalité ontique dans l’affirmation paradoxale mais sans cesse formulée selon laquelle le « Dasein »est un étant. 12

Si le Dasein ne désigne pas seulement l’abstraction d’une présence mais cette présence même dans son accomplissement réel, n’est-ce pas légitimement, alors, que la transcendance est qualifiée en lui, non pas sans doute comme « la propriété d’un sujet donné, » mais comme « la manière d’être essentielle de cet étant » que le « Dasein » est aussi ? Le droit de parler d’une « possibilité ontique de la compréhension de l’être » n’est-il pas fondé ? L’ambiguïté fondamentale du Dasein ne trouve-t-elle pas sa raison dans la structure interne de la phénoménalité effective ? C’est ici qu’il convient de rappeler avec force la signification d’une problématique qui vise l’essence. 14

La signification de l’autonomie de l’essence est d’abord de rendre plus incompréhensible la désignation du Dasein comme un étant. 16

Si le Dasein désigne la réalité effective de la manifestation, l’appartenance de l’élément ontique à cette réalité comprise dans sa signification ontologique pure a été exclue. 16

Le Dasein comme tel est ontologique. 16

L’interdiction de comprendre le Dasein comme un étant est seulement une conséquence négative de l’autonomie de l’essence. 16

Voilà pourquoi « le Dasein ne peut vaincre son éloignement du Zuhanden », non seulement parce que, comme le dit Heidegger, « il est essentiellement éloignement, c’est-à-dire spatial », mais pour cette raison plus ultime, et explicitée par la problématique, qu’il réalise en lui l’essence de son éloignement, – parce que, sur le fond en elle de son anti-essence, la transcendance ne peut être transcendée. 41

Le Dasein ne pourrait être… pénétré par la tonalité de l’existant ni par conséquent être environné par lui, pris par lui, traversé par son rythme… si cet investissement par l’existant n’était accompagné de l’éclosion d’un monde. » 42

Et encore : « si le Dasein est investi par l’existant, ce n’en est pas moins uniquement comme être-dans-le-monde ». 42

Voilà pourquoi, parce que l’investissement par le monde repose sur le projet de celui-ci, la transcendance « éprouve sa situation dans un projet », pourquoi il est dit encore que « bien que se sentant au milieu de l’existant et bien que pénétré de sa tonalité, c’est comme un libre pouvoir-être que le Dasein se trouve jeté parmi l’existant ». 42

Parce que l’investissement repose sur le projet ou plus exactement est inclus en lui comme ce qui le détermine, comme ce qui détermine l’acte de fonder dans son intégrité, il est vrai de dire alors que « le Dasein fonde, « institue » le monde uniquement en tant que lui-même « se fonde » au milieu de l’existant ». 42

Que son projet lui rende visible celle-ci, détermine la transcendance du Dasein comme ce qui le situe non point d’une manière générale et encore indéterminée, mais dans et par la relation à ce qui signifie chaque fois sa propre mort. 42

Cette dernière n’est rien d’autre finalement que l’être-dans-le-monde lui-même comme tel, elle est le Dasein en tant que l’être de celui-ci se trouve compris ontologiquement comme transcendance. 42

Pourquoi la transcendance se trouve-t-elle dans la situation qui est la sienne, c’est-à-dire dans le Dasein, puisque celui-ci constitue, comme tel, la possibilité et l’essence d’une situation et d’un être situé en général ? Le fondement de ce « se trouver » qui amène la transcendance dans le Dasein réside-t-il dans la transcendance elle-même, c’est-à-dire dans la liberté ? « Le « Dasein » a-t-il… décidé librement et pourra-t-il décider là-dessus, à savoir s’il veut ou non venir dans le « Dasein » ? » A cette question fondamentale où se trouve explicitement posé le problème de savoir si la transcendance constitue véritablement elle-même le fondement de sa propre situation, si elle s’apporte elle-même dans celle-ci, la philosophie de la transcendance a répondu. 42

C’est comme un libre pouvoir-être, disait Heidegger, que le Dasein se trouve jeté parmi l’existant. 42

Mais, poursuit le texte que nous commentons, une telle impuissance, le fait qu’il se trouve jeté, abandonné, n’est pas simplement le résultat de l’empiètement de l’existant sur le Dasein, cette impuissance détermine l’être de l’homme comme tel. » 42

Parce que cette impuissance de la transcendance doit s’entendre de la sorte, avec cette signification originaire, parce qu’elle « n’est pas simplement le résultat de l’empiètement de l’existant », c’est-à-dire de l’investissement par le monde identique à son projet, la situation qu’elle détermine et qui se trouve constituée par elle ne réside pas non plus dans un tel investissement, c’est-à-dire dans le Dasein comme tel, dans l’être-dans-le-monde lui-même comme tel. 42

Ainsi se trouve complètement modifié, à l’intérieur de la philosophie de la transcendance et par elle, le concept de situation que le Dasein, c’est-à-dire aussi bien la transcendance, se montre maintenant incapable de fonder. 42

En cela réside toutefois l’essence de la situation, non dans la situation elle-même, mais dans le fait de se trouver ainsi en elle, dans le fait pour la transcendance de venir dans le Dasein, de telle manière cependant que cette venue ne dépend pas d’elle mais lui est au contraire imposée comme ce qui ne trouve pas en elle son fondement. 42

Dès qu’il est question de déterminer l’être-en-situation du Dasein, c’est à la transcendance sans doute, c’est-à-dire au Dasein lui-même, qu’il est fait appel. 42

N’ayant rien ni personne à qui recourir, mais décidant chaque fois lui-même de ce qu’il est et peut être, le Dasein est, dans son existence, le fondement de son pouvoir-être. 42

Parce qu’il est ce fondement et parce qu’être celui-ci veut dire être livré à lui-même pour décider chaque fois sans recours mais seulement à partir de soi ce qu’il est et a à être, parce que, dans son abandon à lui-même, il n’existe et ne peut exister que comme ce fondement près duquel il est congédié pour être comme soi l’être du fondement, le Dasein est situé. 42

L’être-en-situation du Dasein, son abandon dans la Geworfenheit, c’est donc là ce qui lui appartient en tant qu’il est, dans le projet, comme pouvoir-être par conséquent et comme transcendance, le fondement de ce qu’il est chaque fois. 42

Parce que l’être-en-situation lui appartient en tant qu’il est lui-même le fondement de son pouvoir-être, n’est-il pas aussi lui-même, comme tel, comme transcendance, le fondement de sa situation ??[147] Que veut dire cependant pour le Dasein être le fondement de son pouvoir-être, être un fondement ? Donnons ici la parole à Heidegger lui-même : « Être un fondement veut dire ne jamais… être maître de son être le plus propre. » 42

Ainsi le Dasein n’est-il le fondement de son pouvoir-être et par conséquent de ce qu’il est chaque fois que pour autant qu’il ne peut jamais se rendre maître de ce qui le constitue lui-même ultimement. « 42

Ne jamais se rendre maître de son être le plus propre, cela ne signifie-t-il pas, en effet, n’en être pas, n’en être jamais le fondement ? « Le Dasein, dit Heidegger, n’est pas en tant que soi le fondement de son être. » 42

Mais comment le Dasein peut-il être le fondement de ce qu’il est chaque fois et en même temps n’être pas en tant que soi le fondement de son être, être et ne pas être le fondement de celui-ci ? Comment de telles déterminations contradictoires sont-elles suceptibles néanmoins de s’unir en lui et, bien plus, de composer ensemble ce qui constitue chaque fois sa situation. 42

Mais si l’être-livré-à-lui-même du Dasein qui le détermine comme le fondement de son pouvoir-être ou, encore, comme « un étant dont l’être a à assumer l’être fondement », constitue comme tel, dans l’abandon qu’il signifie chaque fois, son être-situé, comment la détermination inverse, le fait pour le Dasein de n’être jamais le fondement de son être, se rapporte-t-elle, elle aussi, au concept de la situation, et cela comme ce qui le fonde originellement ? Donnons ici encore la parole à Heidegger : « En existant le Dasein est déjeté, non apporté de lui-même dans son Da. » 42

L’essence de la situation, ontologiquement saisie et interprétée par Heidegger comme « Geworfenheit », réside dans le fait pour le « Dasein » de ne pas s’apporter lui-même dans son « Da », c’est-à-dire de n’être jamais le fondement de ce qu’il est. 42

Une telle détermination, elle seule, confère au Dasein, en même temps que sa situation originelle, les caractères qui déterminent existentiellement celle-ci et la font apparaître précisément comme ce qu’elle est. 42

Que le Dasein qui « est en existant le fondement de son pouvoir être… n’ait pas posé lui-même le fondement, cela repose dans sa lourdeur qui lui fait apparaître la Stimmung comme un fardeau ». 42

Ainsi ontologiquement saisie et interprétée à la lumière du phénomène originel qui la détermine comme ce qu’elle est, la Geworfenheit ne diffère-t-elle pas, et cela en vertu d’une opposition structurelle radicale, du simple abandon à lui-même qui affecte le Dasein en tant précisément qu’ « il est en existant le fondement de son pouvoir-être », abandon primitivement compris comme la Gerworfenheit elle-même ? Qu’une telle compréhension ne soit pas totalement impropre et ne doive être écartée que dans sa prétention à l’originarité, bien plus, qu’elle soit possible, résulte de ce que l’être-fondement ne s’oppose pas simplement dans le « Dasein » à ce qui le détermine au contraire, dans la « Geworfenheit » authentique, comme originellement situé, mais trouve encore dans cette détermination originelle de sa situation authentique, dans le n’être-pas-fondement de soi de son être, son propre fondement. 42

Ainsi se découvre, entre les structures ontologiques essentielles où le concept de situation puise son effectivité concrète, leur vrai rapport comme rapport non pas seulement d’opposition mais de fondation : c’est parce que le « Dasein » n’est pas le fondement de son être qu’il lui est livré pour être, comme cet être dont il n’est pas le fondement, le fondement de son, pouvoir-être. 42

C’est à la lumière de ce « parce que » qu’il convient d’entendre, comme ce qui rend possible dans la préservation de l’unité le concept de situation, la relation dans le Dasein entre l’être et le n’être-pas-fondement de son être, le « pourtant » de leur opposition. « 42

Que l’abandon à lui-même du Dasein qui le détermine à assumer en existant l’être-fondement repose sur le n’être-pas-fondement de soi de son être, désigne la structure de cette détermination comme l’essence originelle de la Geworfenheit. 42

Au n’être-pas-fondement de soi qui détermine l’être du Dasein appartient par essence un « ne… pas… », lequel constitue la « Geworfenheit » comme telle. « 42

En tant que, comme fondement de son pouvoir-être, le Dasein n’est pas le fondement de son être, il apparaît ainsi essentiellement affecté par ce « ne… pas… » ou, comme le dit encore Heidegger, par une Nichtigkeit. « 42

La question concernant l’essence de la Nichtigkeit se laisse formuler, conformément à ce qui vient d’être dit, de la manière suivante : que signifie pour le Dasein ne pas être le fondement de son être et d’abord, d’une manière générale, ne pas être un fondement ? Une telle détermination d’apparence négative doit se comprendre, manifestement, dans son opposition à la détermination positive correspondante. 42

Comment donc, en quoi le Dasein est-il et peut-il être un fondement ? Comme transcendance, et cela d’autant plus clairement que celle-ci constitue son être et en même temps l’essence du fondement. 42

Ainsi surgit dans l’évidence éidétique la possibilité ici recherchée comme l’essence de la Nichtigkeit et, identiquement, de la Geworfenheit, la possibilité pour le Dasein de n’être pas le fondement de lui-même : n’être pas ce fondement veut dire ne pas se trouver déterminé dans son être comme transcendance. 42

Une telle détermination, la non-détermination de l’être du Dasein par la transcendance, ne peut cependant demeurer simplement négative si elle contient la positivité ontologique concrète de l’être-en-situation et, plus précisément, l’être-en-situation du « Dasein » lui-même. 42

De celui-ci cependant elle ne constitue pas seulement la situation mais identiquement son être même si le « Dasein » se révèle situé en tant que tel et si par ailleurs il est autre chose que rien. 42

En tant que le Dasein est dans son existence le fondement de son pouvoir-être, il se comprend à partir des possibilités qu’il projette, de telle manière que ce projet s’accomplit aussi, ainsi qu’on l’a vu, comme un retrait. « 42

Pouvant-être, dit Heidegger, le Dasein se tient… dans l’une ou l’autre possibilité, constamment il «’est pas l’autre et s’est privé d’elle dans son projet existentiel. » 42

Que le Dasein ne soit pas dans la possibilité dont il se trouve ainsi privé en tant qu’il se tient dans son projet à l’intérieur d’une possibilité effective, c’est là ce qui détermine celui-ci comme essentiellement nichtig. 42

Ainsi se laisse reconnaître l’ambiguïté fondamentale de la Nichtigkeit heideggerienne selon qu’elle traduit le mode fini conformément auquel, se projetant à partir de soi vers ses possibilités, le Dasein se trouve déterminé comme l’être-fondement ou, au contraire, le « ne… pas… » qui affecte essentiellement celui-ci en tant qu’il n’est jamais lui-même le fondement de son être. 42

L’affirmation de la culpabilité du Dasein renvoie ultimement toutefois à la structure ontologique de celui-ci et c’est l’ambiguïté de cette structure, c’est-à-dire de la Nichtigkeit elle-même, qui rend finalement inutilisable sur le plan philosophique l’affirmation donnée comme essentielle selon laquelle « le Souci lui-même est dans son essence traversé de part en part par la Nichtigkeit ». 42

De la Nichtigkeit considérée en général et dont le concept inclut aussi en lui, dans son indétermination ontologique foncière, le n’être-pas-fondement de soi où l’être du Dasein puise la possibilité effective de sa situation, Heidegger a tenté une interprétation elle-même générale, non rapportée à la finitude du projet. 42

De celle-ci comprise comme déterminant en général l’être du Dasein et, par suite, comme le fondement de sa culpabilité, Heidegger constate lui-même le caractère incertain : « le sens ontologique de la Nichtheit de cette Nichtigkeit existentiale demeure obscur ». 42

L’accomplissement effectif et concret de la transcendance dans le Dasein n’implique pas seulement, en effet, le projet des possibilités. 43

De celles-ci il a été dit que c’est à partir d’elles que le Dasein se comprend. 43

Que signifie, pour le Dasein, se comprendre à partir des possibilités vers lesquelles il se projette ? Non pas simplement se projeter, précisément, vers de telles possibilités, mais revenir sur soi à partir d’elle s y de telle manière que c’est seulement dans ce revenir et par lui que le Dasein se découvre à lui-même et se comprend tel qu’il est. 43

Une telle découverte par le Dasein, revenant sur soi à partir des possibilités qu’il projette, de ce qu’il est dans ce projet est celle de sa situation. 43

La situation spatiale du Dasein, par exemple, n’a rien à voir avec le simple fait pour une réalité donnée de se trouver là où elle est dans l’espace, rien à voir non plus avec l’être-en-situation d’un outil tel qu’il se détermine à partir d’une région, elle présuppose au contraire la découverte de celle-ci, celle d’un espace que le Dasein dispose et met en place, à partir duquel « il détermine chaque fois son propre lieu, de telle sorte qu’il revient de l’espace mis en place sur la place qu’il a occupée ». 43

Parce que c’est seulement à partir de l’espace mis en place dans la transcendance de l’horizon ouvert qu’il revient sur sa place pour la déterminer et la comprendre, « le Dasein conformément à sa spatialité n’est jamais d’abord ici mais là-bas ; c’est à partir de ce là-bas qu’il revient sur son ici, et cela seulement de telle manière encore une fois qu’il explique son être se souciant pour… à partir du Zuhanden qui est là-bas ». 43

Un tel revenir sur soi, à partir de l’objet de son souci, du Dasein se souciant détermine en général sa situation et constitue par suite la structure de celle-ci. 43

Pareille structure devient visible notamment dans le cas des déterminations existentielles qui concentrent le Dasein sur sa propre situation. 43

La crainte éprouvée devant ce dernier n’est telle et ne peut être par suite ressentie comme peur que pour autant que le Dasein ne se projette pas seulement dans l’attente au-devant du terme menaçant qui s’approche, mais revient encore sur soi à partir de celui-ci pour se comprendre, dès lors, dans sa soumission par rapport à lui, à la lumière du danger qu’il encourt lui-même dans son existence propre. 43

C’est parce que « le s’attendre de la peur laisse le terme redoutable revenir en arrière sur le pouvoir-être factice se souciant », que la peur éprouvée par celui-ci le concerne, n’est pas seulement une « peur devant » mais une « peur pour » et, comme peur pour soi du Dasein ainsi menacé, le découvre à lui-même dans l’effectivité d’une situation concrète. 43

Que celle-ci résulte toujours du mouvement par lequel le Dasein revient en arrière sur soi à partir de ce qu’il projette devant soi et se découvre à la faveur de ce revenir, se voit aussi dans l’angoisse. 43

C’est parce que, se tenant en face de la mort et venant se briser sur elle, le Dasein se trouve rejeté dans l’angoisse sur son existence factice, qu’il aperçoit en elle, à la faveur de la tonalité affective qu’elle réalise, le caractère inéluctable de sa condition et se laisse saisir, à la lumière de celle-ci, dans sa vérité, comme être-pour-la-mort. 43

Qu’une situation, celle du Dasein lui-même, non d’un objet quelconque, trouve la structure qui la constitue et prenne forme dans l’acte par lequel le Dasein revient sur soi à partir de ce qu’il projette, pose la question de savoir ce qu’il en est, plus précisément, de cet acte et implique que soit élucidée la nature de ce à partir de quoi il s’accomplit comme de ce sur quoi il « revient ». 43

Ce à partir de quoi s’accomplit l’acte du Dasein qui revient sur soi n’est jamais un étant même si, dans la peur par exemple, il semble en être ainsi : le terme menaçant qui s’approche et devant lequel le Dasein éprouve la peur n’est tel et ne peut précisément approcher que pour autant que s’est ouvert pour lui l’horizon où il se manifeste comme ce qui arrive, l’horizon du futur. 43

C’est à partir de celui-ci, en réalité, que le Dasein revient sur soi de telle manière que, dans ce retour en arrière tel qu’il s’accomplit à partir du futur, il se découvre à lui-même comme étant déjà, comme l’étant qui, en tant qu’il est, est déjà été. 43

Ce sur quoi revient le Dasein à partir de l’horizon qu’il projette du futur est le Dasein lui-même en tant que passé, non au sens de ce qui n’est plus, d’une réalité qui n’est plus donnée, mais au sens de ce qui, étant encore, était déjà. 43

L’acte de revenir à partir du futur qu’il projette sur l’être-été de cet acte, c’est-à-dire du Dasein lui-même, est la temporalité. 43

C’est comme temporalité, comme modes de celle-ci et de sa temporalisation, que se trouvent saisies par Heidegger et décrites par lui la peur et l’angoisse en tant qu’elles laissent paraître en elles, comme cela même qu’elles découvrent, l’abandon du Dasein dans la Geworfenheit, sa situation. 43

Le caractère concret de celle-ci, le fait qu’elle signifie précisément l’abandon du Dasein, sa déréliction, ne résulte pas simplement, toutefois, de l’accomplissement de la temporalité. 43

L’être-ayant-été comme livré à la mort dès sa naissance, l’être qui porte en lui co-originairement naissance et mort, non comme ce qui n’est plus ou comme ce qui n’est pas encore « réel », mais comme ce qui surgit inlassablement de l’accomplissement de la temporalité et comme cet accomplissement même, est comme tel, comme essentiellement déterminé en lui par la temporalité, comme transcendance et comme Dasein, situé. 43

La situation du Dasein, toutefois, ne se confond pas avec la temporalité, elle prend naissance en elle. 43

C’est seulement dans l’acte de revenir sur soi à partir de celle-ci que le Dasein se comprend dans son abandon, comme lui étant livré. 43

Parce que cette compréhension par soi du Dasein dans sa déréliction s’accomplit dans un tel acte, comme un retour en arrière, elle surgit dans l’ekstase du passé, prend sa forme et la présuppose. 43

Dans la Befindlichkeit le Dasein est surpris comme l’étant qu’étant encore il était déjà, c’est-à-dire qu’il est constamment été. 43

Dans la structure constitutive de l’être-en-situation et ici pensée à la lumière du lien qui unit déréliction et passé, il y a donc lieu de distinguer, d’une part, l’horizon pur du passé dont l’ekstase se temporalise co-originairement avec celle du futur et à partir d’elle, d’autre part, ce qui se manifeste à l’intérieur de cet horizon, le Dasein lui-même comme étant déjà là, comme être-ayant-été. 43

Loin que le découvrir ekstatique comprenant qui revient en arrière puisse fonder l’être-déjeté du « Dasein », sa situation, il la découvre au contraire comme ce qui ne dépend pas de lui ni de l’acte ontologique de sa liberté. 43

A la lumière de celle-ci seulement, de ce qui constitue la structure ontologique de l’être comme être-situé, doivent s’entendre ces propositions où Heidegger pense déterminer, et cela comme essentiel, le lien qui unit la Befindlichkeit au passé : « L’acte d’apporter devant le fait (das Dass) de la déréliction propre – que ce soit authentiquement en découvrant ou inauthentiquement en cachant – ne devient existentialement possible que si l’être du Dasein est, conformément à son sens, constamment été. 43

C’est pourquoi l’affirmation par laquelle Heidegger prétend caractériser ce qui constitue la facticité du Dasein comme un état caché (Verschlossenheit) et selon laquelle celui-ci « co-détermine le caractère ekstatique de l’abandon de l’existence au fondement nichtig d’elle-même » doit être rejetée. 43

L’incompatibilité éidétique de l’ekstase temporelle et du propre fondement « nichtig » de celle-ci, de ce qui se trouve déterminé comme « Nichtigkeit » par cette incompatibilité même, rend également inintelligible, incapable en tout cas d’exhiber en elle l’essence originelle de la Geworfenheit, l’idée donnée pourtant par Heidegger comme décisive pour la compréhension de celle-ci, d’un « rapport ekstatiquement temporel du Dasein au fondement dé jeté de lui-même ». 43

Dans l’acte de revenir en arrière sur s’ouvre cependant la dimension à l’intérieur de laquelle se meut, comme lui étant identique, une telle possibilité, celle pour le Dasein de prendre attitude précisément et, dans la lumière de cette ekstase, d’« assumer » ce qu’elle lui découvre, la Geworfenheit qui lui appartient et le constitue. 43

L’appel du « Gewissen » par exemple est-il autre chose qu’un appel à la liberté si, dans l’événement par lequel il se trouve revenir par-delà la faute sur l’être-coupable originel qu’il est lui-même, le Dasein ne découvre pas seulement sa situation mais se trouve encore invité à la reprendre à son compte pour « assumer » ainsi pleinement en elle l’être déchu qu’il est. 43

Parlant de cet appel tel qu’il se laisse comprendre dans sa connexion essentielle avec le surgissement primitif de le temporalité, Heidegger le caractérise, par rapport au Dasein et pour lui, comme un « appel en avant dans la possibilité d’assumer soi-même en existant l’étant déchu qu’il est, en arrière, dans la Geworfenheit, pour la comprendre comme le fondement nichtig qu’il a à reprendre dans l’existence ». 43

Ce qui se présente d’abord sous la forme d’une réalité transcendante dans l’ekstase du passé n’est rien d’autre toutefois que l’être déjeté du Dasein, sa déréliction, qu’il lui faut alors, se transmettant à soi-même ce qu’il est « d’une façon immédiate » dit Heidegger mais, en fait, « par ekstase temporelle », prendre sur soi, assumer, accepter, alors que rien ne répugne davantage à la structure interne originelle de la Geworfenheit, c’est-à-dire de la situation elle-même, que la liberté incluse en de tels actes comme ce qui les rend possibles. 43

Car le Dasein ne peut en celui-ci « choisir » la possibilité dont il « hérite », et, par suite, se comprendre en lui dans sa « super-puissance impuissante », « dans la super-puissance de son projet… sur la dette qui l’engage en propre », que pour autant que s’ajoute à celle-ci, à la déréliction dans la Geworfenheit, le pouvoir du Dasein précisément de revenir sur elle et de la reprendre dans la liberté du projet. 43

Ainsi le Dasein, dont il est dit pourtant qu’ « il ne revient jamais en deçà de sa déréliction », se trouve-t-il revenir précisément sur elle, au-delà et en deçà, dans l’ekstase de l’horizon où il la recueille, comme si l’hyper-pouvoir de cet acte par lequel il l’« assume » aussi bien venait composer, avec l’impuissance qui détermine ontologiquement l’essence de la situation, la structure de celle-ci en même temps que son ouverture originelle dans la conscience du destin. 43

Parce que, dans l’acte de revenir en arrière à partir de l’horizon fini du futur sur l’être-déjeté du Dasein, ce n’est pas l’essence de ce dernier, comme originellement livré à lui-même, qui se trouve définie, mais la compréhension ontologique de celle-ci, parce qu’une telle compréhension se fonde sur la liberté, elle est susceptible, pour cette raison, de s’accomplir de diverses manières correspondant chacune à une détermination particulière de l’existence. 43

Conformément à cette modalisation possible inscrite dans sa structure même, la compréhension de l’être-déjeté du Dasein se réalise chaque fois dans un acte déterminé de l’existence, de telle manière que, dans cet acte de se comprendre existentiellement soi-même, celle-ci peut se rendre manifeste mais aussi se cacher ce qui constitue proprement sa situation. 43

C’est dans la décision résolue (non dans le simple accomplissement inlassable de la temporalité) par laquelle il s’élance au-devant de la mort que le Dasein se saisit comme d’ores et déjà livré à celle-ci dans l’abandon insurmontable de l’être-ayant-été. 43

Que celui-ci, l’être-déjeté du Dasein constitutif de sa situation, ne se découvre que dans la décision résolue et par elle, Heidegger l’affirme explicitement : « la situation a son fondement dans l’Entschlossenheit », elle est, dit-il, « le Da ouvert dans l’Entschlossenheit ». 43

En celle-ci donc se découvre, en même temps que ce qui fait la situation effective et concrète du Dasein et comme cette situation même, la vérité de l’existence. « 43

C’est comme un étant en effet que surgit le Dasein en tant qu’il revient sur lui-même dans l’ekstase du passé, en tant qu’il est le dépassé. « 43

Ce qui est dépassé, dit Heidegger, c’est précisément et uniquement l’étant lui-même, et en fait tout étant qui peut se trouver dévoilé au Dasein ou le devenir ; par conséquent aussi et précisément cet étant qu’il est lui-même par son existence. » 43

Ainsi s’accomplit, dans le rapport ekstatique du « Dasein » à lui-même, une chute essentielle, telle que ce que désigne primitivement un tel rapport se trouve compris en lui comme le « ce sur quoi » de ce rapport et comme un étant. 43

C’est comme étant que le Dasein est situé, c’est comme tel qu’il se donne dans l’acte par lequel il revient en arrière sur soi, comme antérieur à cet acte et, par suite, comme radicalement indépendant à l’égard de sa propre manifestation dans l’ekstase du passé. 43

En tant que, comme être situé, il apparaît et se donne toujours en réalité comme « déjà » situé, le Dasein, parce que cette détermination lui échoit du fait qu’il est un étant, renvoie inévitablement la problématique à la considération de celui-ci et de son rapport avec l’être. 43

Cette substitution, la confusion qu’elle instaure entre l’impuissance ontologique de la transcendance à l’égard d’elle-même et son impuissance métaphysique à l’égard de l’étant (le fait qu’elle n’est pas « créatrice »), la nécessité où se trouve la problématique pour accomplir une telle substitution précisément et traiter l’impuissance de la transcendance à l’égard d’elle-même comme impuissance à l’égard de l’étant, d’inclure celui-ci dans le Dasein, c’est-à-dire aussi bien de laisser déchoir la transcendance au rang d’un étant, tout cela s’accomplit et devient visible quand, parlant de l’homme considéré dans son existence, Heidegger dit de lui qu’ « ordonné à l’étant qu’il n’est pas, il n’est pas non plus fondamentalement maître de l’étant qu’il est lui-même ». 43

Celle-ci affecte le Dasein lui-même en tant que, dans l’acte par lequel il revient sur soi et se manifeste, il se manifeste comme un étant. 43

Ainsi interviennent les thèmes existentiels qui se trouvent inévitablement développés par la problématique dès qu’elle s’interroge sur ce qui constitue précisément l’être-situé du Dasein lui-même, la situation de l’homme. 43

Que celui-ci, que le « Dasein » ne trouve pas comme étant son fondement dans la transcendance comprise cependant comme le seul fondement, détermine le caractère insurmontable de son abandon et, parce que l’idée de cette absence de fondement, l’idée de la contingence, emporte inévitablement en elle une appréciation d’ordre axiologique, un tel abandon, le fait même pour l’homme d’être situé, signifie dès lors, dans une perspective éthique et métaphysique à la fois, sa propre culpabilité. 43

C’est parce que l’activité fondatrice de celle-ci ne peut résorber en elle l’étant qu’elle libère, que, dans l’acte par lequel il revient sur soi, le Dasein se manifeste comme quelque chose d’absurde avec la contingence qui co-détermine comme leur essence même les déterminations structurelles constitutives de sa situation, facticité, Gewesenheit, Geworfenheit. 43

Voilà pourquoi le Dasein « se trouve toujours seulement comme fait dé jeté », pourquoi il est vrai de dire, en ce sens, que « l’acte d’apporter devant l’étant déjeté qu’on est soi-même… crée l’être-été (Gewesen) ». 43

C’est parce que le rapport du « Dasein » au fondement déjeté de lui-même est compris comme ekstatiquement temporel que ce fondement apparaît précisément comme déjeté. 43

Une telle détermination se produit plutôt d’une manière confuse, à la faveur de la chute qui a été décrite, en sorte que c’est l’insertion de la transcendance dans le Dasein compris comme un étant qui la revêt des caractères de l’être-situé : ceux-ci appartiennent à l’étant lui-même en tant que tel. 43

C’est l’être-déjeté de l’étant qu’il est qui confère au Dasein sa déréliction. 43

Si, par exemple, « la Geworfenheit… demeure cachée », si « cet état caché n’est pas… un simple non-savoir mais constitue la facticité du Dasein », c’est que l’être de celui-ci réside positivement dans l’immanence et se trouve comme tel situé et, en même temps, dans cet état où il se dissimule, lui et ce qui constitue le caractère insurmontable de sa situation originelle. 45

En réalité « dans l’acte de se diriger sur… et de saisir, le Dasein ne sort pas en quelque sorte préalablement de sa sphère intérieure, dans laquelle il serait d’abord enfermé, mais il est, conformément à son mode d’être primaire, toujours déjà « dehors »… », et cela non seulement dans la perception proprement dite mais aussi bien dans la simple pensée, dans la représentation ou dans le souvenir. « 45

Dans l’angoisse pourtant cette signification paraît : « l’angoisse est la disposition fondamentale qui nous place face au néant », nous ouvrant ainsi l’être de tout ce qui est, car « l’être de l’étant n’est compréhensible… que si le Dasein, par sa nature même, se tient dans le néant ». 65

Ainsi dépouillée du pouvoir de révélation qui lui appartient en propre et dont l’essence n’est point reconnue, l’affectivité ne garde sa signification ontologique et précisément le pouvoir de révéler quoi que ce soit que dans la mesure où, confondue avec la transcendance, elle œuvre à la manière de celle-ci et, chaque fois, d’un acte s’accomplissant dans le milieu ouvert par elle, quel que soit le mode authentique ou inauthentique selon lequel se réalise un tel acte : « l’affectivité ouvre par l’acte de tourner vers ou de détourner du Dasein propre ». 65

Chaque disposition affective, dit Heidegger, « porte le Dasein plus ou moins explicitement… devant le fait qu’il est. » 65

Au Dasein il appartient par essence que, avec l’ouverture de son monde, il est ouvert à lui-même de telle sorte qu’il se comprend toujours déjà. » 65

Et encore : « le Dasein est constitué par l’Erschlossenheit, c’est-à-dire par un comprendre qui s’accomplit dans une certaine situation affective ». 65

Le « s’être-obtenu » de l’existence, présupposé en elle comme la possibilité même de son affectivité et comme l’essence de celle-ci, précisément parce qu’il constitue son essence, se laisse voir en chacune de ses tonalités, dans la peur en tant qu’elle se trouve déterminée originellement et nécessairement comme « peur pour soi », dans l’angoisse qui, de la même manière, n’est possible que comme l’angoisse du Dasein devant sa propre existence et pour elle. 65